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“ Fil de l’eau, fils de laine / Ici et Ailleurs ”

 

Résidence d’artiste  à Pontempeyrat, (Loire), août 2003,  proposée par « Regards et Mouvements » et  « L’Eau et le Pont ».

 

La préfiguration à l’Hostellerie de Pontempeyrat (centre des arts du cirque), réalisée sous le titre «Fils de laine, fil de l’eau - Ici, ailleurs .

 

« La  situation de l’Hostellerie de l’Ance à Pontempeyrat à la frontière entre plusieurs départements (la Loire, la Hte-Loire et le Puy-de-Dôme) aux confins de deux régions (Auvergne et Rhône-Alpes), à une distance raisonnable de la ville mais en pleine campagne, pose les bases idéales d’une réflexion sur le territoire. Lieu de mémoire fragile d’une histoire locale marquée par une culture de confins et lieu conçu par son animateur, Alexandre Del Pérugia, pour faire mémoire, Pontempeyrat réinvente ainsi la notion de lieu, chère aux artistes : en refusant de s’inscrire dans les frontières d’un territoire hérité ou contraint, l’espace est celui de l’action, espace construit entre le rythme du pas d’un cheval et le vol de l’avion qui relie à d’autres espaces lointains mais cousins... »
Michel Rautenberg, anthropologue

 

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Pontempeyrat, étrangement, rappelle la forme longue d’Israël et des Territoires. Il était d’autant plus intéressant donc d’accueillir ” imaginairement  Israël et la Palestine (ses contours, son réseau de frontières conflictuelles - ligne verte, cours bleu du Jourdain, lac de Tibériade, etc. -, son sable et ses eaux sacrées et vitales) à Pontempeyrat, longue bande de terre enserrée par l’Ance et le bief qui se rejoignent sous le viaduc.. En Cisjordanie surtout, se superposent terres palestiniennes, colonies juives et des zones placées sous autorité palestinienne. La laine, projetée et retombée, emmêlée, figure cet espace israélo-palestinien parcellisé, ses lignes de fracture où les deux peuples, l’occupant comme l’occupé,  sont emprisonnés dans les mailles d’une histoire tragique dont ils ne pourront sortir qu’ensemble, par la force d’une vision qui casse et dépasse le réel, dans un effort pour renouer le fil du dialogue et que les mots, les images, les gestes l’un vers l’autre fassent enfin véritablement taire les armes.

Extrait de :
Ah ! si Pontempeyrat était au bord de la mer ou passer du rêve à la réalité.

Chez les Aborigènes, c’est le lieu dont on rêve qui devient son territoire. Dans la culture juive, nul besoin de murs, dix hommes font un lieu, i.e., le lieu de prière. C’est entre les deux conceptions de l’habiter que j’ai trouvé, à l’Hôtellerie, mon mode d’être particulier, oscillatoire. Car la mise en œuvre de « Fil de l’eau, fil de laine », cela a d’une part consisté à passer du rêve à la réalité, ou dans mes termes, transporter Israël-Palestine à Pontempeyrat. Et d’autre part, à se nourrir d’une équipe (une vraie troupe), un ensemble de bonnes volontés sans lesquelles rien ne serait advenu. Ainsi, j’ai pu habiter pour un moment Pontempeyrat en étrangère tout en me sentant chez moi. Ce mince losange d’Auvergne, je l’ai occupé, oui, occupé, avec ma laine, mes enthousiasmes, mes lacunes, mes amis, mes joies, mes rêves et mes révoltes.
Passée la façade tyrolienne (qui brouille les pistes, mais ce n’est pas moi qui m’en plaindrait), je me suis reconnue dans cette ouverture : les roulottes, un côté « sauvage », échevelé, sinon mal coiffé, (seuls m’ont manqué l’odeur de la mer et son infini) ; avec une diversité de façons d’être au monde : animale (les magnifiques chevaux de l’adorable Julie, et le chien (celui-là en clandestin)), familiale, professionnelle, orientale (ah ! la cuisine de Mama Zohr !), occidentale, intello, artiste,  circassienne…Et ne nous étonnons pas si tout ce beau monde peut créer quelque désordre. Bref, comme l’eau bruissante et claire qui irrigue et enchante ce territoire, ça circule à l’Hostellerie, profondément métisse, idéale pour accueillir un projet aussi exotique (que d’aucuns jugeront filandreux).
A lieu métis, performance nomade, proprement déterritorialisée. Superposer à cette longue bande de terre enserrée par l’Ance et le bief se rejoignant sous le viaduc, une image d’Israël et des Territoires, cela n’allait pas de soi. Sacré décalage (pour ne pas dire sacrilège), que pour la première fois j’ai vécu positivement. L’idée toute simple de jeter de la laine rouge sur un territoire jaune, le désert, en me confrontant à la réalité de Pontempeyrat, il m’a fallu l’élaborer autrement, toujours à la dernière minute, la morceler. En somme, il m’a fallu accepter de mêler l’eau à la laine. Le chemin ainsi dessiné m’a ouvert un terrtoire nouveau que ma performance elle-même transformait, ce qui m’a profondément émue :
- en semant quelques poignées de sable ocre rouge du sud marocain (merci Karim), j’ai planté le désert en plein cœur de l’Auvergne, et je me suis mise à peindre avec la laine, comme baptisée par les peintres aborigènes dont je me suis sentie très proche, malgré la différence énorme entre les deux manières. Car, la laine étant difficile à manipuler, portée par le souffle puissant du saxophone de Taylor, je ne savais que danser mes gestes, en tremblant d’émotion et de plaisir, d’épuisement aussi. Et peu importait le résultat final.
- C’est la deuxième partie de ma performance, improvisation de dernière minute, grâce à l’intelligence que Françoise avait du projet et à sa sensibilité, m’a emmenée les pieds dans l’eau, avec pour seul bagage un gros fil de laine bleue emmêlée, en plein dans le mille, là où la performance faisait sens : à dénouer les nœuds pour, paradoxalement, renouer le fil du dialogue.
- Enfin, le jeter de laine du viaduc me parut un ballet chorégraphié collectivement, par les « danseurs », le vent et la nature, le sujet du « tableau » éclaté dans la forme. J’en ai ressenti la beauté et l’intensité une fois aux pieds du magnifique ouvrage : les voûtes ensanglantées et les feuillages enguirlandés m’ont bouleversée.
(…)
« C’est bucolique », a-t-on jugé dans le public (j’ai entendu aussi le mot de mandala). Cela m’a surprise et fait sourire. En tout cas, j’ai eu le merveilleux sentiment que l’eau, les arbres, les gens m’ont aidée à porter une parole, très modeste, sur le monde. Une parole nouée, pas forcément explicite, que je ne maîtrisais pas mais laissais flotter, libre, vivante,  et  inspirante je l’espère.

 

 

 

 

participants

Martine Hassoun, journaliste (France); Omar Al Ashram (Palestine-France), Edgar Laloum, acteur social (France-Israël), Sandrine Brunner, comedienne (France).

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